1Clusif

Pratiques Managériales et
Politiques Sociales en France :
Synthèse du Rapport IGAS

Résumé Exécutif

Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de juin 2024 analyse les liens entre les pratiques managériales en France et les politiques sociales nationales, en les comparant à celles de l’Allemagne, de l’Irlande, de l’Italie et de la Suède. Il en ressort plusieurs constats majeurs.

Premièrement, il existe un consensus international sur les caractéristiques d’un management de qualité, qui repose principalement sur un fort degré de participation des travailleurs et la reconnaissance du travail accompli. Ces principes, complétés par l’autonomie et la clarté des rôles, sont devenus des impératifs face aux défis économiques contemporains tels que les pénuries de main-d’œuvre et l’évolution des attentes des salariés.

Deuxièmement, la qualité du management a un impact direct et significatif sur la performance économique des entreprises, la santé des salariés, la qualité de l’emploi et l’engagement au travail. Un management participatif est corrélé à une baisse de l’absentéisme et du turnover, des facteurs essentiels pour le taux d’emploi et la productivité.

Troisièmement, la France se distingue par une position « peu flatteuse » par rapport à ses voisins européens. Les pratiques managériales françaises sont jugées très verticales et hiérarchiques, avec un niveau de reconnaissance du travail et d’autonomie des salariés nettement plus faible. La formation des managers, jugée trop académique et peu axée sur la coopération, contribue à cette situation.

Quatrièmement, le rapport met en lumière un paradoxe français : la France dispose de l’arsenal réglementaire le plus complet visant à influencer le management (droit d’expression, obligations sur la Qualité de Vie et des Conditions de Travail – QVCT), mais obtient des résultats médiocres. À l’inverse, les pays étudiés privilégient des interventions plus ciblées et s’appuient davantage sur un dialogue social robuste, notamment la codétermination en Allemagne et en Suède, qui modèle activement les pratiques managériales.

Enfin, malgré ce diagnostic, le contexte actuel est jugé favorable au changement. Une demande sociale forte pour l’évolution des pratiques, la crise du sens au travail, le développement de l’apprentissage et les nouvelles directives européennes (CSRD) créent une opportunité pour une intervention publique. Le rapport conclut en proposant une série de recommandations visant à améliorer l’environnement de travail et à rénover le cadre juridique pour favoriser un management plus participatif et efficace.

1. Consensus sur les Caractéristiques d’un Management de Qualité

Le rapport établit qu’au-delà des spécificités nationales et sectorielles, les principes d’un « bon » management font l’objet d’un large consensus en Europe. Ce management est résolument tourné vers l’humain et privilégie l’autonomie des salariés.

Principes Fondamentaux

Les analyses convergent autour de trois piliers essentiels qui définissent un management efficace et souhaitable :

  1. La Participation des Travailleurs : Définie comme la possibilité pour les salariés de prendre part aux décisions qui affectent leur travail. Elle se décline sous deux formes :
    • Opérationnelle : Latitude dans l’exécution des tâches (autonomie).
    • Organisationnelle : Participation aux décisions plus larges de l’entreprise. Cette participation peut être directe (dialogue professionnel) ou indirecte, via les représentants du personnel (dialogue social).
  2. La Reconnaissance au Travail : Considérée comme un élément décisif, elle va au-delà de la rémunération et inclut des leviers managériaux de proximité comme le droit à l’erreur, l’encouragement des initiatives et la valorisation des efforts.
  3. L’Autonomie : Facteur essentiel de qualité de vie au travail, elle doit cependant être conditionnée par un soutien managérial et des mécanismes démocratiques de décision pour ne pas devenir un facteur d’isolement ou de précarité.

Facteurs de Convergence

Cette convergence des principes managériaux est probablement liée à des impératifs économiques et sociaux partagés par les pays étudiés :

  • Pénuries de main-d’œuvre nécessitant d’attirer et de fidéliser les talents.
  • Transformation des attentes des salariés, accélérée par la pandémie de Covid-19 (télétravail, équilibre vie professionnelle/personnelle).
  • Quête de sens et individualisation du rapport au travail.
  • Nécessité de s’adapter aux grandes transitions (démographique, écologique, numérique) qui exigent des travailleurs plus autonomes et adaptables.

2. Impact des Pratiques Managériales sur la Performance et les Politiques Sociales

Le rapport démontre que la qualité du management est un déterminant clé non seulement de la performance des entreprises, mais aussi des résultats des politiques sociales.

Performance Économique des Entreprises

De nombreuses études économétriques (Eurofound, DARES, France Stratégie) confirment l’existence d’une corrélation positive entre les bonnes pratiques managériales et la performance économique. Les entreprises qui favorisent un haut degré d’autonomie, une forte implication des employés et des stratégies de formation globales affichent de meilleurs résultats en matière de productivité, d’innovation et de croissance. Une analyse menée par l’IGAS confirme un lien statistique significatif entre la qualité des pratiques managériales et la croissance de l’excédent brut d’exploitation (EBE) des entreprises.

Santé et Qualité de Vie au Travail

Le management a un impact direct sur la santé physique et mentale des salariés.

  • Risques Psychosociaux (RPS) : L’autonomie, le sens du travail, la confiance et la reconnaissance sont des facteurs qui réduisent les RPS. À l’inverse, une faible participation des salariés aux décisions est corrélée à une perte de sens et à un risque dépressif accru.
  • Absentéisme : Une étude de Laurent Cappelletti et Henry Savall estime le coût global de l’absentéisme en France à 100 milliards d’euros par an, attribuant la majeure partie de l’absentéisme « évitable » à de mauvaises pratiques de management.

Engagement des Salariés et Qualité de l’Emploi

Dans un contexte de tensions sur le marché du travail, l’engagement et la fidélisation des salariés sont des enjeux cruciaux.

  • Engagement : Les enquêtes d’Eurofound montrent une corrélation directe entre le niveau de participation des salariés et leur degré d’implication. 47 % des salariés dans des organisations à forte participation sont très impliqués, contre seulement 24 % dans celles à faible participation.
  • Qualité de l’Emploi : Le management influence plusieurs dimensions de la qualité de l’emploi, notamment les conditions de travail, le temps de travail et la représentation des salariés. Le manque de reconnaissance est identifié comme un motif majeur d’insatisfaction en France.

3. Le Positionnement Défavorable de la France en Europe

Les enquêtes européennes (Eurofound, EU-OSHA) et les analyses nationales (DARES, IFOP) dressent un portrait critique des pratiques managériales françaises, les situant dans une position globalement médiocre par rapport à ses voisins.

Caractéristique

Données Clés et Constats

Management Vertical

Les pratiques managériales sont perçues comme très hiérarchiques, avec une distance élevée entre les niveaux. La France se classe parmi les pays où la distance hiérarchique perçue est la plus forte.

Faible Autonomie

La proportion d’organisations cumulant faible autonomie et faible participation des travailleurs est de 34,4 % en France, contre 29,5 % en moyenne dans l’UE-27.

Déficit de Confiance

25,6 % des travailleurs français expriment une faible confiance dans leur management, soit le double de la proportion observée en Allemagne, en Irlande ou en Suède (environ 12,8 %). La confiance s’érode fortement avec l’éloignement hiérarchique.

Reconnaissance Insuffisante

Seuls 56 % des salariés français estiment que leur travail est reconnu à sa juste valeur, contre 72 % au Royaume-Uni et 75 % en Allemagne.

Formation Trop Académique

Le système de formation des managers est critiqué pour son caractère théorique, sa valorisation excessive du diplôme et son manque d’orientation vers la coopération et les compétences humaines, bien que des progrès soient notés avec le développement de l’apprentissage.

4. Le Paradoxe Français : Un Arsenal Public Complet pour des Résultats Médiocres

Le rapport souligne une contradiction majeure : alors que la France possède l’un des outillages publics les plus denses pour influencer le management, ses résultats sont parmi les plus faibles.

La Prééminence de la Réglementation en France

La France privilégie la loi et le règlement pour orienter les pratiques des entreprises. Deux outils transversaux existent :

  • Le droit d’expression directe des salariés (depuis 1982) : Permet aux salariés de s’exprimer sur le contenu et l’organisation de leur travail. Cependant, il est très peu mis en œuvre dans la pratique.
  • L’obligation de négocier sur la Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT) : Vise à recentrer le dialogue social sur le contenu réel du travail, mais sa mise en œuvre reste limitée.

Approches Ciblées et Dialogue Social dans les Autres Pays

Les pays de comparaison adoptent des stratégies différentes, moins axées sur une réglementation généraliste et plus sur le dialogue social.

  • Réglementations Ciblées :
    • Suède : La « provision AFS 2015:4 » impose aux entreprises de se doter d’un management systémique pour prévenir les risques psychosociaux.
    • Italie et Irlande : La loi promeut des formules individuelles de travail flexible (travail « agile », droit de demander le télétravail).
    • Allemagne : Le dialogue social intègre la régulation de l’intelligence artificielle et du télétravail.
  • Rôle Clé du Dialogue Social :
    • Allemagne et Suède : La codétermination (participation des salariés aux conseils de surveillance et aux décisions sur l’organisation du travail via les Betriebsräte) modèle profondément le management.
    • Italie : Le dialogue social est très structuré au niveau des branches.
    • Irlande : Une grande proximité informelle entre managers et salariés compense une faible représentation formelle du personnel.

En France, l’impact du dialogue social sur les pratiques managériales réelles demeure plus limité.

5. Recommandations de la Mission IGAS

Le rapport conclut qu’il existe un contexte favorable à l’action publique et formule une série de recommandations pour améliorer durablement les pratiques managériales en France.

Mesures Visant l’Environnement de Travail

  1. Promouvoir la politique managériale : Organiser un rendez-vous annuel des acteurs du travail pour prolonger les débats des Assises du travail, pouvant mener à un nouvel Accord National Interprofessionnel (ANI) sur le sujet.
  2. Soutenir l’innovation : Lancer un programme national sur le modèle du « Future of Work » allemand, financé par le FSE+, pour accompagner les PME dans la transformation de leur management.
  3. Faire évoluer le système éducatif : Intégrer des visions innovantes du management (dialogue social, dialogue professionnel) dans la formation initiale et continue des managers et conforter l’apprentissage comme voie de formation.
  4. Renforcer l’accompagnement des managers : Étendre les missions de l’APEC au conseil sur les pratiques managériales et développer des dispositifs d’accompagnement pour les nouveaux managers.
  5. Améliorer le management dans le secteur public : Clarifier la politique managériale de chaque administration, soutenir les initiatives de dialogue professionnel et développer la formation des managers publics.

Évolutions Juridiques Possibles

La mission suggère d’engager une réflexion pour modifier une ou plusieurs dispositions juridiques existantes, afin de renforcer la participation des travailleurs. Ces pistes, non cumulatives, pourraient inclure :

  • Inscrire les pratiques managériales dans les thèmes de la négociation obligatoire sur la QVCT.
  • Inscrire les pratiques managériales parmi les orientations stratégiques soumises à la consultation du Comité Social et Économique (CSE).
  • Transformer le droit d’expression directe en un véritable droit au dialogue professionnel.
  • Étendre les pouvoirs du CSE en matière d’organisation du travail, en s’inspirant du modèle allemand.
  • Réévaluer la représentation des salariés dans les conseils d’administration et de surveillance.
  • Expérimenter des mécanismes pour une meilleure conciliation vie professionnelle / vie familiale.