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Holacratie, Sociocratie, Scrum, Organisations Opales et Entreprises Libérées — Comprendre leurs différences, leurs synergies, et comment choisir (ou combiner) le bon modèle pour votre mission humaniste


L’Obsession de La Bonne Structure

Il existe une phrase dangereuse qu’on entend régulièrement dans les organisations aspirant à la transformation : « On va adopter la [holacratie/sociocratie/Scrum/telle autre méthode]. »

Elle est dangereuse parce qu’elle suppose que la structure elle-même est la solution.

Cgez 1Clusif, notre coyance est qu’il n’existe pas de structure parfaite. Il existe seulement des structures appropriées ou inappropriées à un contexte donné.

Une organisation technologique, agile, opérant en contexte d’urgence peut prospérer en Scrum. La même méthode appliquée à une coopérative agricole serait un désastre.

Nous avons appris quelque chose d’essentiel : la gouvernance distribuée est un processus de découverte, pas une destination unique.

Cet article est conçu pour vous aider à naviguer les cinq modèles majeurs de gouvernance partagée, à comprendre leurs atouts, leurs limites, et cruciairement, comment les combiner pour créer une gouvernance adaptée à votre raison d’être.


Les Cinq Modèles : Cartographie Complète

1. L’Holacratie : La Structure Maximale

Qu’est-ce que c’est vraiment ?

L’holacratie, créée par Brian Robertson, est peut-être le modèle le plus formalisé de gouvernance distribuée. C’est presque une constitution organisationnelle.

Dans une holacratie :

  • L’organisation est divisée en cercles concentriques (cercle général, sous-cercles, etc.)
  • Chaque cercle a des rôles définis avec des responsabilités explicites
  • Les décisions sont prises par consentement (pas consensus — une nuance cruciale)
  • Il existe des processus structurés pour presque tout : réunions tactiques, réunions de gouvernance, réunions de triage

Ses forces

Clarté maximale : Tout le monde sait exactement quel est son rôle, ses responsabilités et son pouvoir décisionnel. Il n’y a pas d’ambiguïté.

Scalabilité : L’holacratie fonctionne étonnamment bien dans les grandes organisations parce qu’elle crée une « cascade » de gouvernance. Chaque cercle est semi-autonome.

Objectivité : Les processus sont explicites. Il n’y a pas d’espace pour le jeu politique caché.

Approprié pour : Organisations technologiques, organisations rapides, organisations ayant besoin de haute clarté. Zappos, Medium, et d’autres ont utilisé avec succès.

Ses limites

Rigidité : Oui, il y a de la flexibilité. Mais comparé aux autres modèles, l’holacratie peut sembler étouffante pour les créatifs. « Il y a un processus pour tout » peut briser l’élan.

Complexité initiale : Implémenter l’holacratie demande une formation intensive. Les gens doivent apprendre un nouveau langage, de nouveaux processus.

Pas d’âme : L’holacratie est brillante pour organiser le travail. Elle est moins efficace pour cultiver la connexion humaine. Les gens peuvent se sentir comme des rôles, pas comme des êtres humains.

Limite de la raison d’être : L’holacratie ne garantit pas l’alignement avec une raison d’être humaniste. On pourrait avoir une holacratie parfaitement structurée au service d’une mission terrible.


2. La Sociocratie : L’Équilibre Pragmatique

Qu’est-ce que c’est vraiment ?

La sociocratie, développée par Gerard Endenburg, est née d’une différente ambition que l’holacratie : créer une démocratie organisationnelle sans chaos.

Elle repose sur quatre principes clés :

  • Cercles de décision : Les groupes de travail prennent les décisions qui les concernent
  • Consentement : Une décision est adoptée sauf si quelqu’un a une objection raisonnable
  • Élection sans candidat : Les rôles sont assignés via un processus délibératif (pas de compétition politique)
  • Double lien : Chaque cercle envoie deux représentants au cercle supérieur, assurant la cohésion

Ses forces

Moins formalisée que l’holacratie : Mais plus structurée que le chaos. C’est un sweet spot pour beaucoup d’organisations.

Vraie inclusion : La sociocratie, conçue originellement dans une communauté d’Amis quaker, a l’inclusion dans son ADN. Elle célèbre les voix minoritaires (les objections), plutôt que de les écraser.

Scalable et humain : Elle fonctionne bien pour les organisations de taille moyenne (30-300 personnes) où vous voulez à la fois clarté structurelle et humanité.

Flexibilité adaptative : Contrairement à l’holacratie, la sociocratie se réinvente localement. Chaque cercle peut adapter les processus à leur contexte.

Approprié pour : Coopératives, organisations à mission sociale, organisations humanistes cherchant l’équilibre.

Ses limites

Pas assez rapide pour l’urgence : Si vous avez besoin de décisions en minutes, pas en réunions, la sociocratie peut être trop lente.

Peut dégénérer en consensus mou : Sans discipline, le « consentement » peut devenir juste un autre mot pour « consensus », tuant l’agilité.

Dépend du facilitateur : Contrairement à l’holacratie, qui est presque « autoprocédurière », la sociocratie dépend beaucoup de la qualité de la facilitation.


3. Scrum : L’Agilité Appliquée

Qu’est-ce que c’est vraiment ?

Scrum n’est pas vraiment un modèle de « gouvernance » au sens où l’holacratie et la sociocratie l’entendent. C’est une méthodologie de gestion de projet qui promeut une certaine culture : itérations courtes, feedback constant, amélioration continue.

Structure de base :

  • Sprints de 1-4 semaines
  • Dailies : Réunions de 15 minutes où l’équipe se synchronise
  • Revues de sprint : Démonstration du travail complété
  • Rétrospectives : L’équipe identifie ce qui s’est bien passé et ce qui pourrait s’améliorer

Ses forces

Agilité maximale : Rien ne fige. Tout le monde sait que demain, les priorités peuvent changer.

Feedback constant : Le cycle de 1-4 semaines signifie qu’on sait rapidement si on est sur la mauvaise voie.

Approprié pour : Développement logiciel, projets avec exigences changeantes, environnements incertains.

Culture d’amélioration : Les rétrospectives créent naturellement un feedback loop d’amélioration.

Pas d’alibi : Il est très difficile de « cacher l’inaction » en Scrum. Les décisions insuffisantes se révèlent dans le sprint suivant.

Ses limites

Pas une gouvernance : Scrum organise le travail, pas les décisions organisationnelles. Si vous l’utilisez pour remplacer une gouvernance, vous allez être déçu.

Peut créer des micro-burnouts : Le rythme constant de sprints peut épuiser une équipe.

Pas de structure relationnelle : Scrum parle de « l’équipe » mais ne crée pas vraiment une culture. On pourrait avoir un très bon Scrum avec une très mauvaise culture.

Limité en scalabilité : Scrum fonctionne bien pour les petites équipes (5-9 personnes). À plus grande échelle, on doit ajouter de la complexité (Scaled Agile, etc.) qui détruit souvent la beauté originelle.

Lire aussi : Scrum étape par étape — Comprendre, appliquer et optimiser


4. Les Organisations Opales : La Confiance Radicale

Qu’est-ce que c’est vraiment ?

Frederic Laloux a popularisé le concept d’organisation « opalescente » (ou « opale » — terme emprunté à la couleur qui change selon l’angle). C’est moins une structure qu’une philosophie.

Caractéristiques :

  • Autogestion radicale : Les individus prennent des décisions sans demander la permission
  • Raison d’être transcendante : L’organisation a une « mission » qui transcende le profit
  • Intégrité entière : On apporte tout soi-même au travail — pas juste l’esprit rationnel
  • Absence de hiérarchie : Littéralement pas de titre, pas de département

Ses forces

Alignement authentique : Quand tout le monde connaît et incarne la raison d’être, les décisions s’alignent organiquement. Pas besoin de structures formelles.

Créativité maximale : L’autogestion radicale signifie qu’il n’y a aucune approbation bureaucratique ralentissant l’innovation.

Sens et signification : Les organisations opales rapportent que les gens sont beaucoup plus engagés parce qu’ils travaillent pour une cause, pas seulement pour une paycheck.

Attractivité : Les talents humanistes adorent ce modèle.

Approprié pour : Organisations de mission, organisations petites à moyennes ayant une raison d’être très claire, organisations où la culture est plus importante que l’efficacité opérationnelle.

Exemples : Buurtzorg (soins infirmiers hollandais), Patagonia, Zappos (après holacratie).

Ses limites

Fonctionne avec une raison d’être très claire : Si l’organisation n’a pas une raison d’être partagée viscéralement, l’opale devient du chaos.

Pas scalable simplement : Peut fonctionner pour 50 personnes. À 500, sans une structure, on a des problèmes.

Dépend du self-select : Les organisaions opales attirent des gens avec un certain type de personnalité. Les gens qui ont besoin de structure peuvent se sentir perdus.

Peut masquer le pouvoir caché : L’absence de titres ne signifie pas l’absence de pouvoir. Souvent, le « fondateur » ou le « plus charismatique » domine implicitement.

Manque de clarté pour les nouveaux arrivants : Si vous êtes embauché dans une organisation opale, il n’est pas clair « qui décide quoi ». Cela peut être libérateur ou paralysant selon votre style.


5. Les Entreprises Libérées : La Liberté Comme Priorité

Qu’est-ce que c’est vraiment ?

Le concept « entreprise libérée » vient de France, popularisé par Isaac Getz et Brian Carney. L’idée centrale : les employés savent mieux que les managers ce qu’il faut faire.

Caractéristiques :

  • Liberté d’action maximale : Les gens décident comment faire leur travail
  • Responsabilité cristalline : Mais vous êtes responsable des résultats
  • Pas de hiérarchie de commandement : Pas de « rapports à »
  • Transparence radicale : Tout le monde sait comment l’organisation va

Ses forces

Engagement : Les gens qui se sentent libres sont engagés.

Innovation rapide : Pas d’approbation bureaucratique ralentissant les idées.

Adaptation rapide : Quand les gens ont la liberté d’agir, l’organisation peut pivoter vite.

Satisfaction des employés : Les gens adorent travailler dans des organisations libérées.

Approprié pour : Organisations de connaissance, organisations ayant confiance en leur équipe, organisations opérant en environnement très incertain.

Ses limites

Demande une très haute confiance initiale : Vous devez vraiment croire que les gens feront bien. Si vous n’y croyez pas, ne l’essayez pas.

Pas de protection contre les mauvaises personnes : Dans une entreprise libérée, une personne malhonnête ou incompétente peut causer beaucoup de dégât avant qu’on s’en aperçoive.

Fonctionne pour certains types de travail seulement : Pour des travaux hautement spécialisés (consultants, designers), c’est formidable. Pour des travaux répétitifs ou dangereux, c’est moins clair.

Peut sembler anarchique : De l’extérieur, une entreprise libérée peut sembler sans structure. Cela peut intimider les partenaires ou clients.


La Matrice de Choix : Quel Modèle Pour Quel Contexte ?

Voici un tableau simplifié pour vous aider à choisir (ou combiner) :

Dimension Holacratie Sociocratie Scrum Opale Libérée
Clarté structurelle ⭐⭐⭐⭐⭐ ⭐⭐⭐⭐ ⭐⭐ ⭐⭐
Humanité/Connexion ⭐⭐ ⭐⭐⭐⭐ ⭐⭐⭐ ⭐⭐⭐⭐ ⭐⭐⭐⭐
Agilité/Vitesse ⭐⭐⭐ ⭐⭐ ⭐⭐⭐⭐⭐ ⭐⭐⭐⭐ ⭐⭐⭐⭐
Facilité de déploiement ⭐⭐ ⭐⭐⭐ ⭐⭐ ⭐⭐
Scalabilité ⭐⭐⭐⭐ ⭐⭐⭐ ⭐⭐ ⭐⭐
Inclusion/Voix minoritaires ⭐⭐ ⭐⭐⭐⭐⭐ ⭐⭐ ⭐⭐⭐ ⭐⭐⭐
Nécessite raison d’être claire ⭐⭐ ⭐⭐ ⭐⭐⭐⭐⭐ ⭐⭐⭐⭐

Interprétation :

  • Pour une startup de 5 personnes : Opale ou Libérée. L’overhead de l’holacratie est inutile.
  • Pour une coopérative agricole : Sociocratie. Elle honore l’inclusion ET fournit assez de structure.
  • Pour une équipe logicielle : Scrum + couche de gouvernance (holacratie ou sociocratie) au-dessus.
  • Pour une grande organisation transformant : Commencer par holacratie ou sociocratie pour la clarté, puis progressivement décentraliser vers opale si la raison d’être est forte.
  • Pour une organisation vraiment humaniste : Combiner sociocratie (structure) + CNV (langage) + raison d’être claire (direction). C’est redoutable.

Comment les Combiner : Les Architectures Hybrdes Réelles

Scénario 1 : Holacratie + CNV

Une organisation technologique adopte l’holacratie pour sa clarté. Mais elle remarque que les gens se sentent comme des rôles, pas comme des humains.

Solution : Enseigner la Communication Non-Violente en parallèle. Cela transforme holacratie d’une « machine » en un « système avec du cœur ».

Impact : Clarté + Humanité = Efficacité + Engagement.

Scénario 2 : Sociocratie + Scrum

Une organisation hybride équilibre gouvernance (sociocratie) et gestion de projet (Scrum).

  • Au niveau de gouvernance : Sociocratie pour les décisions stratégiques, les budgets, l’embauche
  • Au niveau du travail quotidien : Scrum pour les sprints, les livrables

Impact : Structure + Agilité = Stabilité + Réactivité.

Scénario 3 : Opale + Sociocratie

Une organisation très humaniste essaie l’opale pure, mais réalise qu’elle a besoin de quelque structure pour éviter le chaos.

Solution : Garder l’autogestion radicale de l’opale, mais ajouter les cercles de décision de la sociocratie.

Impact : Liberté guidée = Création + Clarté.

Lire aussi : Quels sont les principes de la gouvernance partagée ?


L’Élément Manquant : Le Langage Commun

Voici un secret que beaucoup d’organisations oublient : vous pourriez avoir la meilleure structure du monde, mais si le langage utilisé est encore moralistique et jugant, rien ne change vraiment.

C’est pourquoi la Communication Non-Violente est l’infrastructure invisible que tout modèle de gouvernance distribuée doit supporter.

Pourquoi ?

Parce que l’holacratie peut avoir des rôles clairs, mais si les gens se parlent avec blâme et jugement, l’efficacité diminue.

Parce que la sociocratie peut avoir des cercles inclusifs, mais si le langage utilisé écrase les voix minoritaires, l’inclusion est cosmétique.

Parce que Scrum peut avoir des sprints agiles, mais si les gens communiquent sans empathie, la culture s’écroule.

Le modèle de gouvernance crée la forme. La CNV crée l’âme.

Approfondir : Communication Non-Violente — Infrastructure des gouvernances partagées


Déploiement Réaliste : Comment Commencer

Phase 1 : Diagnostic (2-4 semaines)

Questions à poser :

  • Quelle est vraiment notre raison d’être ?
  • À quelle vitesse avons-nous besoin de prendre les décisions ?
  • Combien d’inclusion/inclusion avons-nous vraiment besoin ?
  • Quel est notre niveau de confiance organisationnelle actuellement ?

Output : Un choix de modèle (ou hybride) adapté.

Phase 2 : Éducation (1-3 mois)

Formation intensive sur le modèle choisi + formation CNV en parallèle.

Implication : C’est du travail. Pas un atelier d’une journée.

Phase 3 : Déploiement progressif (3-6 mois)

Ne pas changer tout du jour au lendemain. Commencez par une équipe, une dimension.

Par exemple : « Les décisions budgétaires utilisent la sociocratie. Le reste du travail quotidien reste à faire à l’ancienne. »

Itérez. Apprenez. Ajustez.

Phase 4 : Intégration complète (6-12 mois)

Progressivement, le modèle devient naturel. Vous arrêtez même de le nommer — c’est juste « comment on fait ».


Pourquoi 1Clusif Défend la Pluralité des Modèles

À 1Clusif, nous ne disons pas « adopter la sociocratie, c’est mieux ». Nous disons : « Choisissez intelligemment pour votre contexte unique. »

Pourquoi ?

Parce que l’inclusion humaniste véritable signifie que différentes organisations peuvent avoir besoin de différentes structures. Et c’est OK.

Une startup technologique n’a pas les mêmes besoins qu’une coopérative agricole. Une équipe de design distribué n’a pas les mêmes besoins qu’une unité de 200 personnes.

La flexibilité — la capacité à choisir le bon modèle pour votre contexte — est elle-même un acte d’inclusion.

Ce qui unit tous ces modèles ? Une conviction profonde que les êtres humains, quand on leur donne les bons outils, créent ensemble de meilleures solutions que n’importe quel expert isolé.

Et cela, c’est l’humanisme organisationnel.


Conclusion : Le Voyage, Pas la Destination

Il n’existe pas de « meilleure » gouvernance distribuée.

Il existe seulement la gouvernance que votre organisation peut incarner authentiquement, qui honore votre raison d’être, qui inclut véritable, et qui crée de la valeur pour les gens qu’elle sert.

Le choix entre holacratie, sociocratie, Scrum, opale ou entreprises libérées n’est pas une décision théorique. C’est une décision de qui vous êtes et vers qui vous voulez devenir.

Et le voyage de transformation qui s’ensuit ? C’est là que la magie se produit. C’est là que les organisations deviennent vraiment humaines.

Prêt à commencer le vôtre ?


Ressources Complémentaires sur 1Clusif