
Comment l’holacratie redistribue vraiment le pouvoir (et pourquoi cette redistribution peut être plus subtile — et plus perverse — qu’on le pense)
Le Mot « Révolutionnaire » Est Trompeur
Voici ce qui se passe quand on parle d’holacratie : le mot « révolutionnaire » arrive immédiatement.
« C’est révolutionnaire ! C’est le futur ! C’est au-delà de la hiérarchie ! »
Mais voici la vérité : L’holacratie n’est pas révolutionnaire. C’est une redistribution du pouvoir traditionnel.
Elle ne l’élimine pas. Elle le redessine.
Et cette subtilité ? C’est le secret qui change tout notre compréhension.
Chez 1Clusif, nous croyons en la clarté sur les modèles de gouvernance. Pas le hype. Pas le slogan. La clarté.
Donc voici l’holacratie : tel qu’elle est vraiment. Ses vrais avantages. Ses vrais pièges. Et pourquoi elle peut être mieux qu’une hiérarchie sans être authentiquement humaniste.
L’holacratie
L’invention de Brian Robertson
L’holacratie a été créée par Brian Robertson en 2007 après une question simple : « Comment puis-je éliminer la politique d’organisation ? »
C’est une question intéressante. Pas « Comment puis-je rendre les gens plus engagés ? » Mais « Comment puis-je éliminer la politique ? »
La politique, selon Robertson, c’est le jeu de pouvoir caché. Les favoris du boss. Les alliances non officielles. Les gens qui naviguent les corridors pour obtenir de l’influence.
La solution de Robertson : Cristalliser le pouvoir dans une architecture de rôles plutôt que dans les relations humaines.
Si le pouvoir est dans les rôles, pas dans les personnes, alors la politique disparaît.
C’est brillant. C’est aussi fondamentalement dépourvu de compréhension du fait que les êtres humains créeront toujours de la politique, peu importe la structure.
Les 3 Éléments Clés
1. Les Cercles (L’Architecture)
Une organisation holacratie est composée de cercles imbriqués.
Par exemple :
- Cercle Général (toute l’org)
- Cercle Produit
- Cercle Opérations
- Sous-cercle Engineering
- Sous-cercle Support
Chaque cercle a une raison d’être spécifique — pas un job vague comme « Department X ».
La raison d’être du cercle est précise. « Assurer que notre produit répond aux besoins des clients. » « Maintenir l’infrastructure IT. »
Impact : Clarté maximale sur pourquoi le cercle existe.
2. Les Rôles (Le Pouvoir Cristallisé)
À l’intérieur de chaque cercle, il n’y a pas des « postes » ou des « titres ». Il y a des rôles.
Un rôle a :
- Un nom (« Lead Engineering », « Facilitateur »)
- Une raison d’être (« Assurer la qualité technique »)
- Des domaines (« Architecture logicielle »)
- Des redevabilités (« Émettre des décisions architecturales »)
Une personne peut occuper plusieurs rôles dans différents cercles. Cela crée une fluidité que la hiérarchie n’a pas.
Impact : Pouvoir distribué basé sur la clarté, pas sur les relations.
3. Les Réunions de Gouvernance (L’Actualisation)
C’est là que ça devient structuré. Il y a des réunions régulières où les rôles sont :
- Créés ou supprimés
- Redefinis ou modifiés
- Assignés à de nouvelles personnes
Ces réunions suivent un processus rigide. Pas de discussion libre. Un process.
Impact : La structure est constamment actualisée pour refléter la réalité, pas figée.
Le Concept Caché : Les « Tensions »
Ici est où ça devient psychologiquement intéressant.
À la base de l’holacratie est le concept de tension.
Une tension est l’écart entre ce qui est et ce qui pourrait être.
Exemple : « Je vois un problème avec notre processus. Ce n’est pas mon rôle de le fixer, mais j’ai une tension. »
En holacratie, les tensions sont invitées. Elles ne sont pas des plaintes. Ce sont des données. Des signaux que quelque chose doit changer.
Pourquoi c’est brilliant
Une tension crée une opportunité de voir ce qui ne fonctionne pas. Pas par plainte, mais par observation claire.
Quelqu’un dit « Nous avons une tension : les décisions prennent trop longtemps. »
Le groupe traite cette tension structurellement. Peut-être crée-t-on un nouveau rôle. Peut-être supprime-t-on un processus.
Impact : L’organisation s’auto-actualise. Elle n’attend pas que quelqu’un « se plaigne assez fort ».
Pourquoi c’est problématique
Le mot « tension » est psychologiquement neutre. Cela semble bon.
Mais voici le piège : en rendant les tensions « neutres », on peut aussi rendre invisibles les émotions réelles sous-jacentes.
Quelqu’un dit « J’ai une tension : je ne me sens pas écouté. »
La réponse holacratie : « Quelle est la tension structurelle ici ? Comment pouvons-nous modifier un rôle ou un cercle ? »
Mais c’est peut-être pas un problème structurel. C’est peut-être un problème relationnel. Quelqu’un ne se sent pas vu.
L’holacratie n’a pas de langage pour cela. Elle a seulement le langage de la « tension » et de la « structure ».
Les Avantages de L’Holacratie
1. Clarté Extrême
Je ne peux pas exagérer : une bonne implémentation de l’holacratie crée de la clarté cristalline.
Quand vous arrivez le matin, vous savez :
- Quels rôles vous occupez
- Quels rôles les autres occupent
- Quel est votre pouvoir décisionnel exact
- Où vos responsabilités finissent et d’autres commencent
Comparé à une organisation traditionnelle où tout est ambigu ? C’est du jour à la nuit.
Impact sur les gens : Réduction de l’anxiété. Moins de jeu politique. Énergie vers le travail réel, pas vers la navigation politique.
2. Agilité Organisationnelle
Parce que les rôles ne sont pas des « postes permanents », l’organisation peut s’adapter rapidement.
Une nouvelle priorité émerge ? On crée un nouveau rôle. Une priorité ancienne disparaît ? On supprime le rôle.
Pas de débat politique sur « qui va porter ce nouveau rôle ? » C’est une décision structurelle.
Impact : Les organisations holacratie peuvent pivoter rapidement.
3. Pas d’Autorité Sacrée
Dans les hiérarchies traditionnelles, il y a une « chaîne de commandement » sacrée. Vous reportez à X, qui reporte à Y.
En holacratie, il n’y a pas de « reporting to ». Il y a juste des rôles. Vous occupez le rôle de Lead Engineering. Une autre personne occupe le rôle de Directeur. Mais vous deux occupez des rôles différents, pas une hiérarchie relationnelle.
Impact : Moins de « qui rapporte à qui ».
4. Implication des Gens
Quand les gens comprennent clairement leur pouvoir et leurs responsabilités, ils s’engagent davantage.
« Mon rôle compte. Mes décisions comptent. Je ne suis pas juste un exécutant. »
Impact : Engagement plus élevé qu’en hiérarchie molle.
Lire aussi : Communication Non-Violente — Ce qui manque à l’holacratie
Les pièges
Piège 1 : La « Clarté » Peut Être Une Prison
Oui, l’holacratie est claire. Mais la clarté peut être oppressive.
Voici un exemple réel. Imaginez un cercle Engineering. Le rôle « Architecte Logicielle » a un domaine très clair : « Architecture logicielle ». Les redevabilités sont criantes : « Prendre les décisions architecturales. »
Maintenant, imaginez que quelque chose d’important émerge qui n’est pas explicitement dans ce domaine. C’est à la limite. C’est ambiguë.
La réponse holacratie ? « Ce n’est pas votre rôle. Allez à une réunion de gouvernance pour clarifier. »
Mais ce truc est urgent et la réunion de gouvernance n’est que jeudi.
L’holacratie vous a volé l’agilité par sa propre clarté.
Piège 2 : Nouvelles Hiérarchies Invisibles
L’holacratie dit « Pas de hiérarchie ». Mais les êtres humains créent toujours de la hiérarchie.
Quelqu’un qui parle bien, qui comprend les processus, qui paraît compétent ? Ils dominent les réunions. Pas formellement. Mais psychologiquement.
Une personne tranquille, réservée, même très compétente ? Elle peut être submergée.
Et voici le piège : Parce qu’il n’y a pas de hiérarchie formelle, la hiérarchie informelle devient invisible. Personne ne peut la nommer.
Au moins dans une hiérarchie traditionnelle, on sait que le boss est le boss. En holacratie, le boss est invisible et donc plus puissant.
Piège 3 : Les Réunions de Gouvernance Deviennent Perpétuelles
Je vais être direct : les réunions de gouvernance holacratie sont du travail.
Elles suivent un processus rigide : « Quelles tensions avez-vous ? » « Traitons cette tension. » « Prochaine tension. »
C’est efficace. Mais c’est épuisant. Et si l’équipe a constamment des tensions, vous vivez en réunion de gouvernance.
C’est un vrai coût : un épuisement par réunion.
Piège 4 : Les Rôles Peuvent Devenir Des Cages
Un rôle vous donne de la clarté. Mais il vous confine aussi.
« Ce n’est pas mon rôle » devient un outil de protection. Les gens restent dans leurs boîtes.
L’innovation qui traverse les rôles ? Cela demande une réunion de gouvernance pour « clarifier ». L’improvisation créative qui transcende les domaines ? C’est vue comme du flou organisationnel.
Conséquence : L’holacratie peut tuer la créativité impulsive.
Piège 5 : L’Holacratie Suppose Que La Clarté Est Neutre
Ici est le plus gros piège : l’holacratie assume que si on clarifie les rôles, on élimine la politique.
Mais la clarté elle-même est politique.
Qui décide du domaine du rôle ? Qui décide des redevabilités ? Ces décisions reflètent un pouvoir caché — une vision du monde de ceux qui ont écrit la structure.
Et cette vision du monde, une fois cristallisée en rôles, devient difficile à remettre en question.
Par exemple, si le rôle « Facilitateur » a la redevabilité « Assurer que les réunions avancent », cela reflète une présomption : que les réunions qui avancent sont bonnes. Mais peut-être que dans un contexte humaniste, nous voulons des réunions qui écoutent vraiment, même si c’est lent ?
La structure holacratie a déjà décidé pour nous.
La « Fausse Inclusion » de L’Holacratie
L’holacratie crée une inclusion formelle, pas une inclusion véritable.
Ce qu’elle offre vraiment
Formellement :
- Tout le monde peut participer aux réunions
- Tout le monde peut proposer des tensions
- Tout le monde occupant un rôle a du pouvoir dans ce rôle
C’est plus inclusif qu’une hiérarchie, oui.
Mais voici ce qu’elle ne fait pas
Elle n’honore pas les voix minoritaires qui ne parlent pas.
En holacratie, si vous avez une tension, vous la levez. Mais si vous êtes quelqu’un qui ne parle pas en public, vous restez silencieux.
L’holacratie a le langage de la « tension » mais pas le langage de l’écoute profonde.
Comparé à la sociocratie, qui dit explicitement « Avez-vous une objection ? », l’holacratie dit implicitement « Si vous avez quelque chose à dire, dites-le. » Le fardeau est sur vous de parler.
Et psychologiquement, c’est très différent.
Lire aussi : Holacratie vs Sociocratie — Différences philosophiques réelles
Quand L’Holacratie Fonctionne Réellement
Contextes Favorables
1. Organisations technologiques / startups agiles
L’holacratie brille quand :
- Le changement est constant
- La clarté des rôles est un gain (pas une perte créative)
- L’équipe est déjà relativement homogène et confiante
Exemple : Une startup de logiciel qui doit pivoter rapidement. L’holacratie crée la clarté et l’agilité dont vous avez besoin.
2. Organisations avec une culture tech/engineering
Les ingénieurs aiment les structures claires. Ils pensent en termes de systèmes. L’holacratie résonne pour eux.
3. Organisations sans bagages politiques préexistants
Si vous commencez une nouvelle organisation, l’holacratie peut être magnifique. Il n’y a pas d’anciens jeux politiques à remettre en question.
Contextes Défavorables
1. Organisations créatives / artistiques
Les artistes et les créatifs ont besoin de flou. De l’espace pour l’improvisation. L’holacratie peut écraser cela.
2. Organisations avec trauma organisationnel
Si l’équipe a souffert de manipulation ou de politique cachée, l’holacratie augmentera la méfiance au début. (Bien que ça puisse finir par la réduire.)
3. Organisations où l’inclusion humaniste est une priorité réelle
Si votre mission est l’inclusion des marginalisés, l’holacratie seule est insuffisante. Elle a besoin de CNV + raison d’être humaniste.
4. Organisations en urgence constante
Les réunions de gouvernance holacratie prennent du temps. Si vous êtes en crise permanente, c’est un coût trop élevé.
Le Cas de Zappos : L’Avertissement Non Entendu
Zappos a adopté l’holacratie en 2013. Pendant deux ans, c’était magnifique : clarté, agilité, engagement augmenté.
Puis, quelque chose a commencé à changer.
Des gens quittaient. Notamment les créatifs. Les gens qui aimaient l’imprécision et l’improvisation.
Pourquoi ? Parce que la structure holacratie — aussi claire soit-elle — avait écrasé quelque chose d’humain.
Ce qui n’était pas dit mais qui s’est passé : L’holacratie avait remplacé le « chaos politique » par une « mécanique rigide ».
Les gens avaient échangé un problème pour un autre.
Aujourd’hui, Zappos continue avec une version « assouplie » d’holacratie. Moins rigide. Plus d’espace pour l’humanité.
Leçon : L’holacratie nécessite un tempérament humaniste pour ne pas devenir une machine.
Holacratie + CNV
L’holacratie se concentre sur la structure. Elle est brillante pour ça.
Mais elle manque complètement de langage relationnel.
Quand deux personnes en conflit dans une organisation holacratie se rencontrent, elles ont :
- Des rôles clairs
- Des domaines clairs
- Un processus de réunion de gouvernance
Mais elles n’ont pas : un langage commun pour parler de leurs sentiments, besoins et préoccupations.
C’est là où la Communication Non-Violente devient critique.
Quand vous combinez :
- L’holacratie (structure claire)
- La CNV (langage d’égalité et d’empathie)
Quelque chose de magnifique émerge : une organisation claire et humaine.
Approfondir : Communication Non-Violente — Le langage dont l’holacratie a besoin
Implémentation Réaliste : Les Pièges à Éviter
Erreur 1 : Croire Que L’Holacratie « Fixe » La Politique
Non. Elle la restructure. Si vous lancez l’holacratie dans une organisation politique toxique, vous allez juste avoir une holacratie politique (où la politique se joue via les « tensions » et les réunions).
Solution : Commencez par la culture. Puis ajouter la structure holacratie.
Erreur 2 : Implémenter sans formation à La CNV
Si les gens comprennent l’holacratie mais pas la CNV, les réunions de gouvernance deviennent des champs de bataille polies.
Solution : Formation simultanée holacratie + CNV.
Erreur 3 : Supposer Que Tout Va Être Clair
Non. Il y aura toujours de l’ambiguïté. La structure holacratie crée de la clarté maximale possible — pas une clarté totale.
Acceptez que les réunions de gouvernance seront une constante.
Solution : Budgétez le temps pour les réunions de gouvernance.
Erreur 4 : Négliger Les Voix Tranquilles
Parce que l’holacratie invite les « tensions » mais ne les demande pas activement, les gens tranquilles peuvent rester invisibles.
Solution : Activement inviter les voix tranquilles. « Quelqu’un a une tension qu’il hésite à partager ? »
Pourquoi 1Clusif Voit L’Holacratie Comme Un Outil, Pas Une Solution
À 1Clusif, nous valorisons l’inclusion et la transmission.
L’holacratie est un outil brillant pour créer de la clarté et de l’agilité. Mais ce n’est pas suffisant pour créer une véritable culture humaniste.
Pourquoi ?
Parce qu’elle n’a pas de langage pour l’émotion, la vulnérabilité, et l’apprentissage profond.
Elle peut créer une organisation où les rôles sont clairs et les décisions rapides. Mais pas une organisation où les gens se sentent vus, où les voix minoritaires sont activement invitées, où la transmission émerge naturellement.
Pour cela, vous avez besoin :
- Structure claire (holacratie)
- Langage d’égalité (CNV)
- Raison d’être humaniste cristalline (pourquoi on existe)
Les trois ensemble ? C’est une organisation humaniste.
Lire aussi : Gouvernance Amplifiée — Au-delà du partage simpliste
Conclusion : Pas Révolutionnaire, Mais Utile
L’holacratie n’est pas révolutionnaire.
C’est une redistribution intelligente du pouvoir traditionnel. Elle l’explicite et le rend plus fluide. Mais elle ne l’élimine pas.
Et c’est OK. Nous ne sommes pas en quête d’une organisation parfaite. Nous sommes en quête d’une organisation mieux que la hiérarchie.
L’holacratie fait cela. Elle crée une clarté, une agilité et une participation plus grande.
Mais elle ne crée pas l’humanité. Elle ne crée pas la connexion. Elle ne crée pas l’inclusion profonde.
Pour cela, vous devez la combiner avec d’autres éléments : la CNV, la raison d’être humaniste, et une culture de respect profond.
Si vous le faites — holacratie + CNV + raison d’être humaniste — vous créez quelque chose de rare : une organisation qui est à la fois claire et humaine.
Êtes-vous prêt à voir l’holacratie pour ce qu’elle est vraiment : pas une solution complète, mais une pièce brillante d’un puzzle plus grand ?
Ressources Complémentaires sur 1Clusif
- Communication Non-Violente — Ce qui manque à l’holacratie — Le langage critique
- Holacratie vs Sociocratie — Différences philosophiques réelles — Comprendre le contexte plus large
- Sociocratie — Une alternative avec plus d’humanité — L’approche basée sur l’inclusion
- 5 Modèles de Gouvernance Distribuée — Voir où se positionne l’holacratie
- Triangle de Karpman — Pièges psychologiques même en holacratie — Ce qui sabote la structure
- Gouvernance Amplifiée — Au-delà du pouvoir limité — Vision plus large
- Humanisme dans l’Entreprise — Les valeurs qui devraient guider l’holacratie