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Coefficient d'adaptation

40 ans de code : Ce que l’IA change pour les développeurs

Plus qu’un simple copier-coller

Depuis plus de 40 ans que je code, j’ai toujours appris en m’inspirant de bouts de code pour comprendre comment ils fonctionnaient. D’abord dans les magazines, puis sur les forums et Stack Overflow, et bien sûr auprès de mes collègues. Le principe n’a jamais changé : s’inspirer, comprendre, tester, et apprendre de ses erreurs.

Alors, qu’est-ce qui change vraiment avec l’IA ? Ce n’est pas l’acte de s’inspirer qui est nouveau, mais sa vitesse et sa richesse. Face à cette puissance, la question devient anxiogène : sommes-nous en train de créer une génération de simples « copieurs-colleurs » assistés par machine ?

Après quatre décennies dans ce métier, je ne vois pas l’IA comme une menace, mais comme un formidable accélérateur. Son véritable impact ne se mesure pas au nombre de lignes qu’elle génère, mais dans la manière dont elle nous oblige à changer fondamentalement notre posture de développeur.

Loin de nous rendre passifs, elle nous pousse à devenir plus stratégiques, plus critiques et plus centrés sur la finalité de notre travail. Cet article distille les constats les plus importants que m’offre cette perspective sur le long terme.

 

Premier constat : Le plus grand danger n’est pas l’IA, mais notre confiance aveugle

Le risque principal de l’IA n’est pas technologique, il est humain. La plus grande erreur que nous puissions commettre est de déléguer notre responsabilité intellectuelle à la machine, en acceptant ses propositions sans aucun recul.

Le temps que l’IA nous fait gagner en générant du code ne doit pas devenir une invitation à la paresse intellectuelle. Au contraire, ce temps doit être réinvesti pour être plus curieux, plus rigoureux et plus critique face aux solutions proposées.

Accepter une suggestion de code sans la comprendre, c’est se placer dans une situation de grande vulnérabilité : le jour où ça ne marchera plus, je n’y comprendrai rien et je ne saurai absolument pas comment me débrouiller.

Cette vigilance critique est au cœur de ce que j’appelle la dimension cognitive du Coefficient d’Adaptation : notre capacité à rester flexible mentalement, à questionner nos certitudes et à continuer d’apprendre activement plutôt que passivement.

💡 Dimension cognitive de l’adaptation

L’IA nous force à développer notre métacognition : être conscient de nos propres processus de pensée, savoir quand nous comprenons vraiment et quand nous faisons semblant de comprendre.

 

Deuxième constat : L’IA nous transforme de « codeur » en « solutionneur de problèmes »

L’intelligence artificielle est extrêmement douée pour répondre à la question du « comment » : comment écrire une fonction, comment implémenter un algorithme, comment utiliser une librairie. Cette automatisation de la production de code libère le développeur pour qu’il se concentre sur les questions bien plus fondamentales du « quoi » et du « pourquoi ».

La véritable mission d’un développeur n’a jamais été de simplement écrire du code. Le code n’est qu’un outil, un moyen pour atteindre une fin. Notre rôle est de tomber « amoureux » du problème, de travailler en interaction constante avec nos clients — ceux qui nous amènent ce problème — pour concevoir la solution la plus pertinente.

Si on n’est pas amoureux de son problème, si on n’utilise pas le code comme un moyen de trouver une solution au problème qu’on nous amène, je pense qu’on passe à côté de la mission.

La valeur ajoutée ne réside plus dans la maîtrise de la syntaxe, mais dans la capacité à poser les bonnes questions et à comprendre en profondeur les enjeux métiers.

C’est ici que la dimension comportementale du Coefficient d’Adaptation entre en jeu : notre agilité à abandonner les anciennes habitudes (coder ligne par ligne) pour adopter de nouvelles approches (itérer avec l’IA), tout en gardant le cap sur l’objectif final.

🎯 Dimension comportementale de l’adaptation

Le « vibe coding » — coder par itération avec l’IA — n’est pas de la paresse, c’est une nouvelle méthode de travail qui demande autant de rigueur, mais orientée différemment : vers la stratégie plutôt que vers la syntaxe.

Troisième constat : Les compétences essentielles ne sont plus purement techniques

Pour tirer le meilleur parti de l’IA et prospérer dans ce nouvel environnement, trois qualités humaines deviennent plus importantes que jamais. Elles définissent une posture qui, à mon sens, ne s’applique pas qu’aux développeurs, mais à la quasi-totalité de l’humanité qui travaillera avec l’IA.

1. Développer sa curiosité

La curiosité est le moteur qui nous pousse à creuser au-delà de la demande initiale pour comprendre le véritable problème à résoudre. Sans elle, nous ne faisons qu’exécuter des tâches sans en saisir le sens. C’est cette curiosité qui nous permet d’explorer les suggestions de l’IA, de les challenger et de les enrichir.

2. Développer son esprit critique

Cela signifie ne jamais accepter la première réponse de l’IA comme une vérité absolue. L’esprit critique nous amène à questionner ses suggestions, à explorer des alternatives, quelquefois à refuser totalement sa proposition pour en chercher une autre, à en coder une par soi-même ou même à se réunir à plusieurs pour écrire le code.

3. Développer sa culture générale

Cette troisième compétence complète la posture indispensable pour interagir intelligemment avec les systèmes d’IA et contextualiser les problèmes et leurs solutions. Une culture technique élargie, une compréhension des enjeux métiers, une connaissance des patterns de conception : tout cela forme le socle qui nous permet de guider efficacement l’IA plutôt que de la subir.

Ce glissement des compétences purement techniques vers des qualités humaines et stratégiques est une évolution positive pour notre métier. Il nous élève du rôle d’exécutant à celui de partenaire stratégique, dont la valeur réside dans la compréhension, la critique et la résolution de problèmes complexes.

💗 Dimensions émotionnelle et sociale de l’adaptation

Accepter que notre métier change radicalement demande une résilience émotionnelle : tolérer l’incertitude, gérer l’anxiété du changement, maintenir son optimisme. Et cela exige aussi une adaptation sociale : collaborer différemment, communiquer nos besoins à l’IA comme à nos pairs, ajuster notre posture selon les contextes.

 

L’IA est un accélérateur, pas un pilote automatique

En définitive, l’IA est une force positive qui a le pouvoir de rendre les développeurs, juniors comme seniors, bien meilleurs dans leur travail. Elle permet aux plus jeunes d’être rapidement productifs et aux plus expérimentés d’affiner encore leur expertise.

Mais cet effet bénéfique n’est possible qu’à une seule condition : adopter la bonne posture. L’IA est un copilote qui accélère notre trajet, mais elle ne remplace en aucun cas le pilote, son intelligence critique et sa vision de la destination.

Alors, la vraie question n’est pas de savoir si vous devez utiliser l’IA, mais plutôt : que ferez-vous du temps qu’elle vous redonne pour devenir un meilleur développeur ?

Rédigé par Jérôme Savajols